Fini les séries bien pensantes trop fantastiques ou trop irréalistes, voici The Leftovers. Avec une troisième et sûrement dernière saison en préparation, The Leftovers, comme un virus, bouleverse les codes de la série générique. Ni son scénario de base, ni ses personnages ne sont des éléments originaux ou surprenants de la série, mais ce qui la rend si puissante ce sont les interactions et la force de caractère de ses personnages.
A notre époque, un 14 Octobre, 2% de la population mondiale disparaît. Soit relativement peu : 1 personne sur 50. La plus infime transformation possible qu’il puisse exister pour notre société actuelle. Trois ans plus tard, dans la petite ville américaine de Mapleton, la mémoire de ces disparus se fait toujours aussi forte. Certains se souviennent d’eux comme des héros, d’autres accusent le seigneur de cet enlèvement ou pire (USA nous voilà !), et certains autres voient dans cette disparition massive un signe évident d’abandon, comme l’histoire biblique (encore de la religion) de l’Arche de Noé. Et c’est là où l’on comprend que les laissés-pour-compte, ceux qui restent (« les leftovers ») ne sont pas les disparus mais bien les 98% d’humains restant sur la Terre. C’est très fort mais surtout unique dans un titre de série d’englober une majorité massive. Le titre de la série désigne la plupart du temps un groupe minoritaire de personnes (Friends, Loïs et Clark, How I Met Your Mother, Jessica Jones), un lieu (Downtown Abbey, Smaville, Brooklyn 99) ou parfois un élément général qui ne concerne qu’une minorité (Weeds, Scrubs, Utopia, Legend of Tomorrow).
La série s’ouvre sur une scène de disparition, un passage au noir, puis on se retrouve à nouveau sur cette même ville trois ans plus tard, veille d’anniversaire de la disparition. Il est là aussi extrêmement rare de voir une série qui ne nous raconte pas les faits (la disparition), mais leurs conséquences, et cela trois ans plus tard. La série True Detective se passe un an environ après les événements. Mais dans cette série, le présent n’est qu’un élément utilisé pour servir une narration subjective. L’action de The Walking Dead se passe moins de 3 mois après la contamination et dans The Last Man On Earth, le héros n’est réellement seul sur Terre que moins de deux ans. Dans cet épisode d’1h10 (les suivants durent moins longtemps) sans générique de début (tradition de l’épisode pilote respectée) chaque personnage nous est présenté un par un de manière subtile, et leurs relations entre eux apparaissent au fur et à mesure de l’épisode. Certaines même sont conservées pour les épisodes à venir.
Voilà une série qui prend son temps et qui sait où elle va, sans nous prémâcher l’histoire. C’est à nous de recomposer pièce par pièce le passé et la complexité de chaque personnage au fur et à mesure des épisodes et cela même jusqu’à la saison 2. C’est parce que nous avons affaire à une réalisation brillante de Damon Lindelof. Ce nom vous est peut-être inconnu, mais c’est avec lui que J.J. Abrams a partagé la création-réalisation-scénarisation de Lost. Si la notion « Wahou ! » de Lost appartenait à J.J. Abrams, la notion « Quoi ? » appartenait à Damon Lindelof. Dans The Leftovers, pas de surenchère scénaristiques digne de Lost (retour dans le passé, retour sur l’Île, retour sur la logique) mais seulement une réaction logique de personnages mal à l’aise dans un monde qui ne les comprend plus. Il faut préciser qu’aucun personnage dans cette série n’est heureux et cela se vérifie d’épisode en épisode. Ce caractère triste inhérent à chacun transforme l’ensemble de la série en tragédie. Rien n’est dramatique (événement malheureux à un moment donné dans une vie), mais tout est tragique (destin de malheur). Et c’est là toute la force de cet épisode pilote : Ils font tout pour aller mieux mais rien n’y fait.
Second point fort de cet épisode pilote, toutes les problématiques de la série sont affichées dans ce premier épisode. L’épisode pilote d’une série n’arrive pas en général à exposer toute la tension et les enjeux d’une série. Exception faite à la série Breaking Bad où toutes les valeurs morales, les principales problématiques ainsi que les points de tension de cette série sont inscrits dans l’épisode pilote. Dans The Leftovers on se questionne déjà sur la nature et la fonction des Hommes en blanc qui passent leur journée à fumer et se refusent à parler. Le retour à l’instinct animal est présenté par des formes différentes d’acceptation de la violence chez les personnages. La dimension de réalité ou de non-réalité et représenté par un cerf (élément étrangement partagé avec la série Hannibal). On se questionne aussi et déjà sur la véritable origine du personnage de Wayne. Mais encore plus fort, notre avis de spectateurs, sur cette disparition des 2% de la population, est perpétuellement remis en cause par des interventions permanentes d’acteurs de second plan ou par des échanges de points de vue entendus sur une télévision en fond sonore. Les éléments du contexte viennent à nous par morceaux issus des moyens de transmission de l’information que nous avons l’habitude d’utiliser. La série se refuse à nous expliquer mais laisse les JT et les Talk-Shows le faire.
Le seul point négatif de cet épisode pilote restera l’absence de générique. En effet les deux génériques de cette série (saison 1 et saison 2) sont effroyablement gênants et magnifiques. Assez long pour des génériques de séries récentes, ils sont tout de même bien plus pertinents que le générique de Dexter, plus graphiques que True Detective ou Misfits, plus entraînants que Game of Thrones ou Vikings et bien plus émouvants qu’aucune autre.
Voilà pourquoi The Leftovers est une série qui mérite au moins d’être vue sinon aimée. Elle se place en tous points au moins à égalité avec les autres bonnes séries. Elle est pourtant pour le grand public parfaitement inconnue. Cela risquerait sûrement de compromettre une saison 4 et handicape déjà une saison 3. Alors s’il vous plaît, ne vous croyez pas être un laissé-pour-compte. Une véritable série vous attend avec sa misère et son charme, son histoire et ses habitants, ses malheurs et ses conséquences.
Tom Crouzet