Au XVIIe siècle, Descartes compare le comportement des animaux à celui de machines, dans sa fameuse théorie de l’animal-machine. Quatre siècles plus tard, la sortie en salle du documentaire Vedette, passé par l’ACID (sélection parallèle au festival de Cannes) en 2021, confirme et infirme cette théorie, exposant la dichotomie entre engrenage de l’exploitation et spontanéité de l’attachement.
L’histoire est en apparence simple, le destin d’une vache, une reine, Vedette, dont le quotidien varie entre ses combats en arènes et ses séances de broutage dans un alpage aux paysages décontenançant de grandeur, à mille lieux de l’urbanisation de nos villes.
Mais comme tout être, Vedette vieillit. Comme le dit la voix-off du film, “16 ans d’une vie chez une vache c’est 80 ans de la vie d’une femme”. Alors bientôt elle disparaîtra et le spectre de la mort vient cristalliser les inquiétudes de ses propriétaires, femmes fortes, insoumises et déroutantes de tendresse. Comme une bulle d’air, le documentaire est un véritable havre de paix pour le spectateur, un eldorado, vers une terre inconnue, nichée au sommet des montagnes, dans les Alpes, là où les nuages paradent, majestueux de splendeur.
La première scène du film, rude, dure, nous emmène dans un monde à priori austère, celui des combats de reines, vieille tradition du canton du Valais en Suisse, qui voit des vaches de la race d’Hérens s’affronter dans une arène, souvent ou parfois dans les alpages. La caméra filme en plan d’ensemble comme en plan rapproché la férocité qui anime ces vaches, galvanisées par une fureur bestiale. On pénètre un autre monde, on embrasse d’autres traditions et on observe, soufflé et désorienté ces combats qui sont un vecteur de cohésion sociale tant les spectateurs présents dans l’arène sont nombreux. Très vite, la focale se resserre sur une reine et ses propriétaires : deux femmes, Elise et Nicole. Sur ces entrefaites, le spectateur s’immisce en terres rurales par le prisme du féminin, loin du carcan de la représentation stéréotypée de l’univers agricole par la masculinité.
Parfois la vie est un théâtre, et dans toute tragédie qui se respecte, on n’échappe pas à la mort, destin inéluctable pour nombre d’héroïnes. Parce qu’elle s’affaiblit et commence à perdre ses combats, Vedette est confiée par ses propriétaires à leur voisine, la désopilante réalisatrice du film, Claudine Borries. Bête et homme tentent de s’acclimater, malgré la peur palpable de Claudine pour le gigantisme de Vedette et le désintérêt certain de Vedette pour Claudine. Les jours passent et l’une et l’autre s’apprivoisent.
Vedette s’échappe parfois, Claudine lui fait la lecture d’autres fois. On assiste, ému et sourire aux lèvres, à cette adoucissante et vivifiante histoire d’amitié entre deux êtres que tout oppose à priori.
Puissant et requinquant, le film dépeint avec poésie et tendresse le portrait de femmes puissantes, presque herculéennes tant leur rigueur et témérité impressionnent, et nous expose avec subtilité les fractures sociales entre urbanité et ruralité.
Une chronique tendre et saignante, agrémentée d’une ironie mordante, que l’on vous recommande chaudement, au cinéma ou au restaurant, parce qu’il faut bien se l’avouer, nous apprécions tous (plus ou moins) manger des Vedettes…
Par Gautier Blazewicz